Cas d’étude: UEMOA et CEDEAO

16 Sep

L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest sont les deux organisations de coopération intergouvernementale qui se partagent l’espace ouest africain. L’histoire de leur constitution offre des illustrations concrètes des différents facteurs qui façonnent la coopération internationale en climat libéral, et montre que même dans le même espace géographique, et avec pratiquement les mêmes acteurs, on peut aboutir, dans ce domaine, à des résultats différents.

 

UEMOA :

 

1. Généalogie

Les origines de l’UEMOA remontent au moins à 1851, l’année où une loi organique de la II° République française établit des banques coloniales dans les Antilles et en Guyane. Cet établissement marque l’évolution de l’empire colonial français qui cesse d’être basé sur l’économie esclavagiste pour se tourner vers l’économie de traite – c’est-à-dire une forme d’économie commerciale caractérisée par la traite des matières premières agricoles et le travail libre. Cette réforme de l’économie de l’Empire français maintient cependant la doctrine du mercantilisme colonial qui unit la métropole aux économies des colonies dans un système de coopération forcée. Les banques doivent créer le crédit nécessaire au développement des activités commerciales dans un environnement désormais libéralisé, émettre une monnaie coloniale, tout en garantissant la situation de tutelle des économies colonisées. Cette tutelle est matérialisée d’abord par une agence centrale basée à Paris, puis par le système des comptes d’opérations formalisée d’abord à la Banque du Maroc, en 1921. La Banque porte à un compte ouvert au Trésor français toutes les disponibilités procurées hors du Maroc.  Le compte est crédité en France et débité au Maroc, et le compte créditeur peut servir à compléter l’encaisse en francs métro que la Banque doit conserver par rapport aux billets mis en circulation au Maroc. L’utilité du compte d’opérations, à cette époque (où le franc français n’était pas une monnaie convertible) était de maintenir l’unité de caisse entre le Trésor français et la Banque d’émission, créant ainsi une parité automatique entre le franc métro (franc français) et le franc marocain. Ce système sera étendu à la Banque d’Afrique Occidentale en 1929.

 

2. Evolution

Après la seconde guerre mondiale, les relations de tutelle entre le Trésor français et les banques d’émission coloniales évolueront rapidement jusqu’à l’étape décisive de la création du nouveau franc en 1958. Cette nouvelle monnaie française, subséquente aux réformes du plan Pinay-Rueff et au processus d’intégration européen, était une monnaie convertible. La France proposa aux pays africains qui se dirigeaient vers l’indépendance d’adopter une monnaie convertible favorable aux échanges commerciaux et aux investissements. Cette monnaie serait accrochée au franc français suivant les mécanismes déjà établis lors de la création de la zone franc en 1945 : fixité des parités, libre transférabilité et centralisation des réserves de change, à quoi s’ajoute la garantie de convertibilité illimitée du Trésor français. Cette garantie est assurée par une modification du système des comptes d’opérations : les Etats partie au système de coopération monétaire (en dehors du garant) « conviennent de mettre en commun leurs avoirs extérieurs dans un fonds de réserves de change » et la Banque d’émission (la BCEAO) « versera au compte d’opérations les disponibilités qu’elle pourra se constituer en dehors de sa zone d’émission. » Jusqu’en 1973, le compte d’opérations était approvisionné à hauteur de 100 % en devises étrangères des banques centrales africaines de la zone. La convention de 1973 oblige les pays africains de la zone franc (Pazf) à déposer au Trésor français un minimum de 65% « seulement » de leurs réserves de change. Ce taux a récemment été encore abaissé à 50%. Néanmoins, la zone étant sous tutelle de la Banque de France, c’est cette dernière – et non les banques centrales africaines – qui influe de manière prépondérante sur la politique monétaire des Pazf.

 

Ces mécanismes et conventions sont le fruit du traité de l’Union Monétaire Ouest Africaine (mai 1962) qui lie, en un double contrat de coopération monétaire, les pays francophones d’Afrique de l’Ouest (en dehors de la Guinée et du Mali) entre eux, et ce groupe avec la France. Le bénéfice essentiel attendu de l’UMOA était de favoriser la libéralisation des échanges dans le cadre des politiques de développement national des pays, et de stabiliser le cadre macroéconomique de ce développement. Si en apparence ces objectifs étaient atteints dans la période 1962-1980, ils étaient en réalité endommagés par l’instabilité du franc français et l’importation, à travers la parité fixe, de l’inflation française dans la zone. Dans les années 1980, le système entra en crise à cause de (1) la crise des prix des matières premières agricoles et minérales, (2) la crise de la dette et (3) l’appréciation du franc français. Les deux premières crises étaient communes à tous les pays africains, mais la troisième était spécifique au Pafz, dont elle réduit considérablement la compétitivité, puisque l’appréciation du franc français entraîne la surévaluation du franc CFA.

 

Par ailleurs la triple crise coïncida avec la transition du système économique internationale de l’époque dite des « stratégie de marchés » à la mondialisation (ou globalisation). Les pays étaient poussés à ouvrir leurs frontières aux échanges (extraversion) et à régionaliser leurs économies. La solution proposée par le gouvernement français reflète cette évolution. En 1994, le franc CFA est dévalué de moitié et l’UMOA devient l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA). L’UEMOA devait accompagner la libéralisation des économies des pays de l’UMOA, et garantir la stabilité macroéconomique dans la zone à travers une intégration des économies des Etats membres. Concrètement, cela voulait dire la mise en place d’un marché commun (tarifs extérieurs communs) et l’adoption de critères de convergence macroéconomique stricts pour maîtriser l’inflation et encadrer la politique économique des Etats. En 1997, l’UEMOA adopte ses TECs, dont la bande tarifaire la plus élevée ne dépasse pas 20%, faisant de l’union l’une des régions les plus ouvertes au monde – certainement plus que l’Union européenne par exemple. Ces TECs paraissent défavorables au développement agricole, alors même que l’agriculture est la base de l’économie des Pafz. En 2000, les pays de l’UEMOA développèrent une Politique Agricole de l’Union (PAU) qui fut naturellement déterminée par les choix opérés plus tôt : l’option fut de tâcher de développer les filières de rente favorisées par les accords ACP conclu avec l’UE – coton, café/cacao, bananes. La PAU perdit cependant assez rapidement de son importance avec d’une part le développement de la politique agricole commune de la CEDEAO, et d’autre part la mise en route du processus des Accords de Partenariat Economique (APE) avec l’UE qui doivent se substituer aux accords ACP.

 

3. Analyse

L’UEMOA démontre par ses antécédents historiques que le système de l’empire colonial était un système de coopération ou d’intégration économique déséquilibré ; et qu’un tel système, tant que son maintien correspondant à la manière dont la puissance hégémonique définit ses intérêts, peut s’adapter aux changements politiques occasionnés par les indépendances et par la transformation des colonies en Etats formellement souverains.

 

 

CEDEAO

 

La CEDEAO est le fruit d’une politique volontariste de la République fédérale du Nigeria, décidée à briser son isolement en Afrique de l’Ouest. En dépit de la résistance initiale des leaders du club francophone, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, qui avaient préempté les efforts du Nigeria en créant la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEAO, 1973), ce dernier parvint à ses fins en 1975. Certains des Etats francophones (le Bénin, le Togo et le Niger en particulier) dépendaient économiquement du Nigeria, et la Côte d’Ivoire et le Sénégal n’étaient pas en mesure de contrebalancer l’intérêt qu’ils avaient à coopérer avec ce pays. Après un départ en fanfare, la CEDEAO resta cependant une organisation dormante durant la décennie de crise (années 1980). Elle fut redynamisée dans les années 1990, lorsque l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) mit progressivement en place une réaction à la mondialisation libérale avec le Nouveau Partenariat Economique pour le Développement de l’Afrique (New Economic Partnership for Africa’s Development, NEPAD) et sa transformation en Union Africaine. La CEDEAO fut désignée pilier ouest-africain pour l’intégration africaine, et entreprit d’aménager la région ouest-africaine sur le principe de l’action collective.

 

Comme l’UEMOA – dont le projet a débuté plus tôt et avance plus vite – la CEDEAO envisage de mettre en place un marché commun, des critères de stabilisation macroéconomiques et des politiques publiques communes, autour, éventuellement, d’une monnaie unique. En dépit des similitudes d’organisation inspirées par l’internationalisme libéral, le projet de la CEDEAO est substantiellement différent de celui de l’UEMOA. La CEDEAO tend à fonder le développement de la région sur une production à plus grande valeur ajoutée (produits manufacturés notamment) et sur un développement agricole tourné vers le commerce intra-régional. Le libre-échange de climat mondialisé n’est pas dénié par ce projet, mais la philosophie de la CEDEAO postule que la région doit renforcer ses bases économiques avant d’être prête à participer au commerce mondial de manière profitable. En tant que pilier de l’intégration africaine désigné par l’UA, la CEDEAO doit à terme absorber l’UEMOA après une série de processus d’harmonisations. La différence de projets rend cependant ce processus malaisé, d’autant plus qu’il est compliqué par les intérêts des Etats UEMOA qui dépendent le plus de la liberté du commerce (Bénin et Togo notamment). Ainsi, alors que le Nigeria veut promouvoir des TECs relativement protectionnistes, ces derniers tiennent au maintien de bandes tarifaires basses. En revanche, la politique agricole commune de la CEDEAO (ECOWAP) s’est plus aisément substituée à la PAU pour déterminer la politique agricole des Etats, bien qu’elle ait du mal à prendre la route. En 2010, la CEDEAO a également mis au point une politique industrielle commune, la WACIP, qui requerra à terme une profonde modification de la vision communautaire impulsée par l’UEMOA. A cause de la cohésion francophone, l’UEMOA est relativement plus efficace dans le processus de prise de décision et dans la mise en œuvre de programmes techniques que la CEDEAO, mais la coopération entre les deux bureaucraties communautaires est de plus en plus poussée.

 

Analyse.

La CEDEAO démontre encore une fois que la coopération intergouvernementale dépend du volontarisme d’un hégémon. Les divergences normatives – en l’occurrence entre une base juridique et administrative anglophone et une base juridique et administrative francophone – peuvent cependant considérablement entraver la convergence des intérêts, même dans un contexte géo-économique favorable comme celui de la région Afrique de l’Ouest.

Une Réponse to “Cas d’étude: UEMOA et CEDEAO”

  1. Amadou TOURE octobre 30, 2013 à 1:45 #

    analyse et synthèse fort utiles!

Laisser un commentaire